Thursday, December 07, 2006

Infortune (nouvelle)

La première nouvelle que mon prof a vraiment apprécié. C'est pas long et tout bête comme histoire. Il y a le fameux renversement au cours du texte :)

Infortune

Des rues désertes. La ville entière dort. Je me dirige vers un bar miteux, dont l’enseigne au néon s’allume à moitié. À l’intérieur, je retrouve mes chers machines, amies fidèles qui égayent mes sorties tardives. Des couleurs aux accents multicolores dansent sur l’écran devant mon regard juvénile avide de richesses. Avec deux mille dollars, je pourrais modifier ma voiture. Impressionner les filles avec mon char chromé. Je jette un coup d’œil à gauche. Mon voisin de jeu, la mi-quarantaine, les yeux rougis, fixe son jeu, regardant alternativement l’écran et les touches, sa main effectuant des gestes saccadés. Un robot. Flashs de ce que j’ai déjà perdu : ma copine, excédée de mes pertes d’argent, la plupart de mes amis d’enfance, dégoûtés de mon attitude. Je m’en suis fait d’autres, aussi paumés que moi. Joueurs et buveurs invétérés. Une petite voix me susurre parfois que je vais trop loin.

La douce musique claironnante du poker me ramène à mon jeu. 200…400…800 $. C’est une bonne soirée. Je veux en récolter plus. Toujours plus. Le tourbillon me happe. Plus que 1200 $ à gagner. Je suis une âme damnée mais j’éprouve un énorme plaisir à étirer mon séjour en enfer. J’irai au casino avec mes gains de ce soir. Je pourrai miser plus, amasser plus. Une jolie fille, une voiture sport, une belle maison, un immense terrain avec piscine. Tout ça pourrait être à moi. La fièvre s’empare de mon esprit. Quelqu’un me prend l’épaule, m’arrachant à mes rêves de gloire. Mon voisin.

-T’es pas mal jeune pour jouer à ça.

Haleine qui empeste l’alcool. Yeux vides. Éteints de la vie qui les a un jour animés. Je déglutis. Me vois soudain dans cette peau vieillie avant le temps, ces mains tremblantes, ces yeux de poisson mort. Un vieux dragueur chancelant qui se fait regarder de travers par les femmes. Un homme fini.

D’un geste brusque je lâche les touches. Le réveil est cruel. Une boîte noire de plastique. Des couleurs agressives qui se multiplient dans l’écran. Le bruit est assourdissant. Ma tête résonne. Je saute de mon banc et me rue vers la sortie. Mes mains sont moites. Une sueur froide coule dans mon dos. Je rentre à vive allure chez-moi sans me retourner.

La fille, l’auto, la piscine et la maison disparaissent dans la nuit noire.