Wednesday, October 04, 2006

Hommage à mon grand-père


Ça fait déjà deux semaines qu'il est parti et nous n'y croyons pas encore. Rongé par un cancer, grand-papa a finalement trouvé la paix et nous l'espérons, un monde sans douleur et calme.

Peu avant sa mort (deux semaines en fait), j'ai créé un texte m'inspirant de sa vie et de celle d'autres hommes de son âge. Ma mère l'a lu et a fait, « c'est l'histoire de grand-papa et grand-maman ». L'ambiance coïncidait beaucoup, même le travail de bûcheron. Maintenant qu'il est mort, je dédie ce texte fictif à grand-papa, un homme fier et brave, doté d'humour, nous aimant tendrement.
Il nous manque.


La campagne

Je me souviens de mon enfance en campagne, misérable et pauvre, mais non dénuée de tendresse et d’affection. Notre maison, pas très grande, coquette, nous suffisait amplement. Elle était juchée sur une petite colline. Non loin de là, débutait notre terre rocailleuse, laissée en friche en plusieurs endroits. Nous avions cinq bêtes à cornes, quelques poules et un cheval gris, aux jarrets forts et épais. Nous le montions parfois en récompense de notre travail accompli. Mon père, grand et maigre, partait vaillamment faire la besogne tous les matins au lever du soleil, tandis que le coq s’égosillait et ensuite s’acharnait sans compter les heures sur la terre presque stérile. Nous, les enfants, l’aidions du mieux que nous pouvions, ramassant les roches au printemps de nos petites mains. Toute la belle saison sur les talons de mon père, jusqu’à la fin de l’été, période des foins, ou nous chargions avec difficulté les balles de foin sur le chariot.

Le couple formé par mon père et ma mère était aimant, ne reculant devant rien pour notre bien-être, sacrifiant leur propre bonheur pour le notre. On en avait la plus belle et déchirante preuve au début de l’automne alors que mon père partait vers la Côte-Nord pour aller bûcher dans les bois. Le revenu supplémentaire qu’il en rapportait, devrais-je apprendre plus tard, devait permettre à nous les enfants, de bien manger, d’être bien vêtus et instruits.

Ma mère, cette brave femme de paysan, avait mis au monde onze enfants. Je me rappelle son rire d’épouse heureuse mais aussi de ses sautes d’humeur. Je crois que lorsque mon père partait bûcher, ma mère s’en voulait de le laisser partir. Elle souffrait terriblement de l’absence de son bien-aimé. Elle tentait sûrement de se raisonner mais n’y arrivait pas. Au début, elle ne semblait pas trop s’ennuyer, elle remplissait ses devoirs de ménagère et de mère avec entrain, sifflotant un air joyeux parfois. Plus l’hiver s’enfonçait, plus son sourire se faisait rare. Le chagrin se peignait sur son visage fin. Ses yeux tristes révélaient la douleur d’une amoureuse déçue. Le cœur de ma mère souffrait en silence. Elle s’enfermait alors dans un monde inaccessible et devenait irritable, les pleurs perlant au coin de ses yeux d’un bleu de ciel clair. Par moment, sa bouche se fermait durement, hermétiquement, comme tenue par un verrou tiré de l’intérieur. Une colère sourde grondait en elle, mêlée à une grande insatisfaction.

Petite fille, je ne comprenais qu’avec grand-peine que ces réactions étaient liées à l’absence de mon père. J’avais parfois l’impression que ma mère était fâchée contre nous. Nous redoublions alors d’ardeur dans les tâches ménagères, la secondant en tout. Les plus vieux s’occupaient même des touts-petits et du bébé. Les années où mon père réussissait à descendre pour passer les Fêtes avec notre famille, l’humeur de ma mère changeait du tout au tout. Elle redevenait rieuse, bavarde, ses regards emplis de tendresse pour nous. Elle ne lâchait pas mon père de ses yeux rêveurs, tandis qu’il nous donnait des présents sous le sapin et jouait avec nous. Quand il l’embrassait, les yeux de ma mère brillaient tels des étoiles. Les longs mois de la saison froide ne semblaient dès lors plus l’affecter, elle attendait le printemps et le retour au bercail de mon père avec sérénité.








1 comment:

STÉPHANIE CLOUTIER said...

C'est très beau Julie...
Plus je te lis, plus je me questionne...; ça ne t'as jamais passé par l'esprit d'écrire un livre? Tu sais, je crois sincèrement que tu as le talent pour le faire. Je me répète sûrement, mais tu as une très belle plume! ;)