Monday, November 27, 2006

Le trésor (nouvelle inédite)


Pour vous, une nouvelle que je n'ai pas faite pour l'école :)

Le trésor

Une vieille femme s’assoit sur un banc défraîchi. Les écureuils gris, au pelage luisant, s’approchent avec crainte, lorgnant les noix succulentes qu’elle leur présente. L’un d’entre eux se décide enfin et tend son minuscule museau sur la main de la dame. Celle-ci sent à peine les petites dents sur sa paume, une parcelle de seconde avant qu’elles se retirent, tenant leur trésor fermement. La dame soupire de contentement, savourant ce moment précieux de solitude. La solitude voulue, non celle subie. Elle regarde autour d’elle. Tout respire la tranquillité, le calme et le bien-être. Envahie d’une immense paix intérieure, elle ferme les yeux et ne remarque pas le destin qui se joue tout près d’elle.

Une jeune fille, presque une enfant, tenant fermement contre elle un petit paquet chaud, se dirige furtivement vers une haie et y dépose un précieux fardeau. Elle s’éloigne, sans l’ombre d’un remord, d’une démarche incertaine, visiblement droguée. Un chien grogne soudain, la truffe perdue dans la haie. Il ramasse délicatement le petit lange contenant le bébé vagissant.

Le labrador noir regarde autour de lui, indécis. Il se décide finalement à emprunter un chemin d’un pas rapide mais pas trop brusque pour ne pas échapper le bambin. Le soleil ne fait que poindre, les camions à déchets ramassent les poubelles. Le bruit qu’ils font enterrent ceux du bébé. Personne dans la ville à moitié réveillée ne se rend compte qu’un petit être sans défense compte sur un chien pour le sauver. La brave bête parcourt quelques rues, sans que personne ne remarque son curieux manège. Le labrador s’arrête soudain dans une étroite ruelle, où il rejoint son maître. Le clochard l’interpelle :

-Hé, Chopin, qu’as-tu dans ta gueule, mon beau ?

Il s’approche du chien et lui gratte les oreilles avec affection. Il s’arrête en entendant un pleur, tandis que le chien dépose le petit trésor vivant à ses pieds.

-Mon Dieu ! s’écrie le vieillard, une main devant la bouche, éberlué.

Il tend sa main vers la couverture, la défait de gestes doux. Il s’interrompt, la main en l’air, pas certain de ce qu’il voit. Comment peut-on ? Pourquoi ? pense-t-il, indigné. Le bébé est maintenant en crise, rouge de colère. Le vieux monsieur s’assit, prend le chérubin et le serre contre son cœur. Il approche son pouce. Le bébé tête frénétiquement. Cela le calme un peu. Le labrador regarde la scène, couché près de son maître. Celui-ci se gratte la tête. Il se redresse soudain, souriant. Le clochard et le chien noir marchent quelques rues avant de se diriger vers une jeune enseignante, occupée à surveiller les élèves dans la cour d’une école.

-Mademoiselle Marianne !

Elle se retourne, aperçoit le vieillard de l’autre côté de la clôture en acier.

-Ah, Monsieur Gagnon ! Comment allez-vous ?

-Bien, Madame. Regardez, Chopin l’a trouvé.

Il lui montre le petit être vulnérable.

-Mais, il faut l’emmener tout de suite au poste de police ! Ils doivent trouver ses parents !

-Mais, Mademoiselle, j’avais pensé que vous…je veux dire, vous m’avez déjà dit combien vous souhaitiez avoir un enfant…

Marianne surprise, tord ses cheveux entre ses doigts.

-Je peux pas faire ça…Donnez-le moi, on va retrouver ses parents.

Le clochard tend l’enfant à Marianne par la porte grillagée qu’elle a ouverte.

-Vous savez, ce serait pas un crime de le garder, je suis sûr qu’il a été abandonné.

Il lui fait un clin d’œil malicieux et s’éloigne avec le labrador d’un pas léger.

La jeune enseignante regarde le petit garçon, indécise. Après tous ces essais infructueux, cet enfant semble être sa récompense. Elle imagine la surprise de son conjoint mais peu après, sa désapprobation énergique. Elle secoue la tête et, décidée, va demander congé à sa supérieure, laissant les enfants aux bons soins d’une autre enseignante.

Peu après, Marianne entre au poste de police, le bébé assoupi dans ses bras. Des gens la regardent, étonnés. Elle parle avec un agent. Ils font venir une travailleuse sociale. Elle parle longuement avec Marianne, lui montrant les bienfaits de son action, consolant la jeune femme. L’agent de police prend les coordonnées de Marianne, lui promettant de la rappeler aussitôt qu’ils auront des informations sur les parents.

La jeune femme sèche ses larmes et prend une dernière fois la petite main entre ses doigts. Le bébé esquisse un sourire. Marianne sort du poste de police, déçue et soulagée à la fois. Elle sait que quelque chose de bien va arriver. Si elle ne peut pas adopter le bambin, elle pourra peut-être avoir son propre enfant. Elle a confiance.

Les écureuils se font plus rares, repus. Le soleil chaud monte plus haut. Il est l’heure de dîner. La vieille dame contemple une dernière fois les lieux. Elle se lève avec lenteur du banc public. Non loin d’elle, une jeune femme aux yeux brillants lève les yeux au ciel, souriante. La vieille dame l’observe d’un air bienveillant, puis elle se dirige vers son appartement à pas traînants.



1 comment:

STÉPHANIE CLOUTIER said...

j'ai juste un mot...
WOW!
Merci Julie pour tes écrits!