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Le chat noir (deuxième jet)
À l’évocation du jeudi 17 octobre 1880, je ne peux m’empêcher de rire, d’un rire las et cynique. Voyez-vous, ce soir-là, ma vie bascula. C’était pourtant une belle nuit, quoiqu’on n’y vit goutte, le brouillard pesant lourd sur la ville de Londres. Je revenais de chez des amis, quelque peu aviné. À cette heure, je ne vis qu’un fiacre apparaître sur la route, les chevaux menant la voiture d’un pas lourd et épuisé. Puis, l’endroit devint complètement désert, j’avais peine à voir à travers l’épaisse masse de brume. Je resserrai ma redingote, rajustai mon chapeau. Il commençait à faire frisquet.
J’entendis l’herbe frémir derrière moi et me retournai, ne discernant rien dans le crachin opaque. J’avançai plus rapidement, le froufroutement s’accentuant, tout juste dans mon dos. Il y avait une présence qui me suivait. Soudain pris de panique, je couru jusqu’à ma propriété et jetai un dernier coup d’œil, le cœur battant à tout rompre. Dans la lumière blafarde du réverbère, deux lueurs d’un vert d’absinthe ainsi qu’une forme obscure élancée apparurent. Ce n’était donc qu’un chat ! D’un noir ténébreux, certes, mais un chat tout de même. Je m’esclaffai de nervosité, les battements de mon cœur ralentissant. Je lui ramenai un peu de lait, question de l’amadouer. Il avait déjà disparu. «Quelle bête stupide !», pensai-je.
La douceur du vin me rendait somnolent, j’allai donc dormir. Mes rêves se peuplèrent de cauchemars où apparaissait le chat. Je me réveillai en sueurs, alors qu’un orage battait son plein. Je découvris avec effroi, dans la lueur d’un éclair, le félin au poil hérissé juché sur le bord de ma fenêtre. Ses griffes poussèrent la vitre et il entra. J’étais figé de terreur. Il sauta sur mon lit, les crocs relevés. Crachant et sifflant. «Assassin, tu n’es qu’un assassin! », hurla le chat. De grosses gouttes perlèrent sur mon front. Je tremblais violemment. Comment pouvait-il savoir ? Personne ne connaissait mon odieux crime ! «Assassin, assassin, scandait le chat, menaçant. Les mains sur mes oreilles, je lui criai : «Tais-toi, démon ! ». Il s’avançait toujours.
Effrayé, je couru à la porte. L’ouvrit à grande volée. Détalai dans la rue. À moitié fou, sous la pluie drue. L’immonde bête me pistait. Je pris le premier virage à droite, hagard. C’était le cimetière. Je dérapai et tombai à genoux. Devant une tombe. Éberlué, je vis son nom. Celui de mon ami. Assassiné de mes mains. Moitié pleurant, moitié gémissant, je l’implorai. «Oui je t’ai tué ! Pardonne-moi ! Tu m’as bien puni ! Laisse-moi maintenant ! », criai-je à tue-tête. J’entendis un ricanement sinistre. Le chat sur la tombe. Ce monstre velu riait !
Me voilà un an après, attendant ma sentence. Je serai pendu demain. Ha, je ris d’un rire amer. Que ce destin est cruel, condamné à mort à cause d’un stupide chat de gouttière !
4 comments:
Je te l'ai déjà dit mais j'aime bien ce que t'as fait avec cette nouvelle là. Tes descriptions sont excellentes.
Pas mal à mon goût cette nouvelle! Tu as une très belle plume ma Julie! ;)
on ressent aisément ton admiration pour POE ! Très belle nouvelle ! Tu fais hommage par ta plume au chat noir que l'adoré, le regretté, l'inégalable nouvelliste américain avait lui aussi couché par écris. Ne trouves tu pas dommage de ne pas l'éditer ? même à peu d'exemplaires... J'ai quant à moi, un pincement dans mon coeur de jeune poète, quand je vois ton oeuvre erre simplement sur une page HTML...
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